L'affaire Dieudonné : un point juridique
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La circulaire de Manuel Valls du 6 janvier 2014 demandant aux préfets « d'apprécier si le risque de trouble est caractérisé et justifie d'interdire la représentation » du spectacle de Dieudonné, a fait couler beaucoup d'encre ces derniers temps.
La décision du Conseil d'Etat du 9 janvier 2014 a continué à alimenter le débat, puisqu'elle a interdit la représentation du spectacle de Dieudonné à Nantes (puis le 10 à Tours). Cette affaire est l'occasion pour Avocats Picovschi de faire le point sur les infractions à caractère raciste et les sanctions applicables en France.
Il faut préciser tout d'abord qu'en vertu de l'article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, ainsi que de l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et du Citoyen, toute expression d'une idée dans un lieu public est libre. Cependant des sanctions pénales sont prévues en cas d'abus.
Plusieurs infractions sont déterminées par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse (que l'on retrouve dans le Code Pénal) :
- La provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence nationale, raciale ou religieuse, encadrée par les articles 23, 24 alinéas 6 et 7, et article 24, et sanctionnée par 1 an de prison et 45 000 €d'amende. La chambre criminelle de la cour de cassation, a ainsi jugé le 13 juin 1995, que « sont des provocations raciales : … les propos assimilant la communauté juive à une association de malfaiteurs, présentée comme une entreprise de falsification de l'information et d'atteinte aux libertés d'opinion et d'expression. » ;
- La contestation de crime contre l'humanité consistant à nier tout génocide, est prévue par les articles 23, 24 bis, et 42, et est punie par 1 an de prison et 45 000 € d'amende ;
- La diffamation raciale publique qui « n'a pas pour conséquence nécessaire de provoquer à la discrimination et à la haine raciale […] » est prévue par les articles 23, 29, 32 alinéa 2 et 3, article 42 et est sanctionnée par 1 an de prison et 45 000 € d'amende ;
- L'injure raciale publique qui est constituée dès que les quatre éléments suivants sont réunis : la ou les personne(s) visées doit(vent) être clairement identifiée(s), les propos doivent être intentionnellement injurieux ou outrageants, et doivent prononcés en public. Ce délit est prévu par les articles 23, 29, 33 alinéa 3 et 4, et 42. La peine encourue est de 6 mois d'emprisonnement et 22 500 € d'amende.
Dieudonné a ainsi été condamné à plusieurs reprises pour propos antisémites, injure raciale et quelques délits routiers, et n'aurait à l'heure actuelle jamais réglé ses amendes qui s'élèveraient à un montant total de 65 290 €. En 2007, la Cour de cassation l'a reconnu coupable d'injure raciale envers la communauté juive qu'il avait comparé à une secte et à une escroquerie dans une interview donnée à Lyon Capitale en 2003. La même année, la Cour d'Appel de Paris, l'a condamné à 5 000 € d'amende pour avoir assimilé les « juifs » à des « négriers » au sein du JDD de février 2004. Tout récemment, le 28 novembre 2013, la Cour d'Appel de Paris a condamné Dieudonné à payer 28 000 € d'amende pour des propos et une chanson communiqués dans deux vidéos publiées sur internet, où il a notamment remanié la chanson d'Annie Cordy « Chaud Cacao » en « Shoah nanas ». Le juge a considéré que de tels agissements étaient constitutifs de diffamation, injure et provocation à la haine raciale.
Les infractions mentionnées précédemment constituent des contraventions de 5ème classe (amende de 1 5000 €) lorsqu'elles sont non publiques.
Le débat autour de la décision en référé du Conseil d'Etat du 9 janvier 2014, ne porte pas sur ces infractions qui relèvent donc du droit pénal, mais sur la notion de trouble à l'ordre public propre au droit public. En effet, depuis son arrêt de 1995 Commune de Morsang-sur-Orge, le Conseil d'Etat a intégré la dignité humaine comme composante à part entière de l'ordre public. Si en 1995, le Conseil d'Etat s'est fondé sur des actes et des faits pour qualifier l'atteinte à la dignité humaine constituant un trouble à l'ordre public, le 9 janvier 2014, il s'est fondé sur des propos pour admettre que l'atteinte était caractérisée.
Certains ont pu y voir une atteinte à la liberté d'expression tandis que d'autres ont considéré qu'il s'agissait de la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat quant à lutte contre le racisme. L'affaire risque de ne pas en rester là, et d'être portée devant la Cour Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme (CESDH). Reste à savoir si elle validera la décision française !
Sources : www.lepoint.fr : « Dieudonné : pourquoi la décision du Conseil d'Etat est (très) contestable », le 11/01/2014, Marc LEPLONGEON ; www.rtl.fr : « Dieudonné doit régler 65 000 euros d'amendes », le 3/01/2014 ; www.liberation.fr : « Il y a plusieurs éléments